« Le Trio Elégiaque (…) nous propose aujourd’hui son Schubert, si allant et pourtant si détaillé, sans pathos, joué comme du Mozart, comme du Mozart touchant au cœur. (…) Le Notturno, qui nomme l’album, n’aura jamais été si bien joué, grand lied de ténèbres d’une poésie envoûtante. » Jean-Charles Hoffelé – 10 février 2018 – Artamag’
Trio No. 1, Op. 99, D. 898
Notturno pour violon, violoncelle et piano, Op. 148, D. 897
Sonatensatz for violon, violoncelle et piano, D. 28
Trio No. 2, Op. 100, D. 929
Trio Elégiaque – Virginie Constant, violoncelle, Philippe Aïche, violon, François Dumont, piano
2 CD Academy Production. Enregistré à la salle Schnabel de l’Académie internationale de piano du lac de Côme, Italie, les 12 et 14 janvier 2016. Notice trilingue anglais, français allemand. Durée totale : 109:58
» Radieux trio de Schubert
Après l’avoir jouée en concert pendant plusieurs mois, le Trio Elégiaque donne sa version de l’œuvre pour trio avec piano de Schubert, les célèbres opus 99 et 100, avec le fameux Notturno op.148 et le moins connu Sonatensatz D. 28.
On connaît l’immense admiration que Schubert portait à Beethoven, au point de porter de son cercueil lors des obsèques en 1827. Comme bloqué par la notoriété de son aîné, Schubert était alors surtout connu à Vienne pour ses Lieder, Ländler, valses et pièces à quatre main, alors que sa Neuvième Symphonie, qui ne fut créée qu’en 1839 par Mendelssohn à Leipzig, avait été refusée à Vienne, considérée comme « trop difficile ». En 1827, il décida de produire des œuvres significatives, et sa dernière année de vie fut émaillée d’une impressionnante série de chef-d’œuvres, dont les trois dernières sonates pour piano, le Quintette à deux violoncelles et les deux Trios avec piano. Depuis le TrioArchiduc de Beethoven en 1814, il n’y avait pas eu d’œuvre de cette ampleur pour cette formation. Le violoniste Ignaz Schuppanzigh et le violoncelliste Josef Linke, qui créèrent le Trio en si bémol majeur op. 99 le 28 janvier 1828, puis le Trio en mi bémol majeur op. 100 le 26 mars 1828, avaient également créé l’œuvre de Beethoven avec ce dernier au piano. La partie de piano, d’une difficulté extrême, était confiée à Carl Maria Bocklet, également admiré par Beethoven. Schumann prisait le Trio en si bémol pour sa radieuse fraîcheur et considérait que l’opus 100 était plus viril et dramatique que le premier.
Avec un superbe cycle Beethoven (Brilliant Classic), puis une passionnante exploration du côté de Napoléon Henri Reber (Timpani), le Trio Elégiaque, où Philippe Aïche a succédé à Laurent Le Flecher au violon, se devait de graver le corpus schubertien. Face à une discographie très fournie depuis les Trio Bush, Thibaud-Cortot-Casals, aux frères Capuçon avec Franck Braley (Virgin Classic) ou Andreas Staier avec Daniel Sepec et Roel Dieltiens sur instruments anciens (Harmonia Mundi), en passant par le Beaux-Arts Trio, les Wanderer ou encore Immerseel, Beths et Bylsma (Sony), le Trio Élégiaque ne démérite nullement, grâce à des sonorités transparentes, des lignes claires et une grande souplesse dans la virtuosité expressive et rythmique.
François Dumont, Philippe Aïche et Virginie Constant montrent une belle énergie dès le début du Trio en si bémol, et s’abandonnent à des accents de tendresse dans l’andante, même si l’on regrette une prise de son un peu lointaine, mettant le piano au premier plan.
Ils font merveille dans le Deuxième trio, où la belle éloquence du piano répond à la cohérence des cordes dans une clarté presque joyeuse. Leur lecture du célèbre andante nous tient en haleine, tandis que le scherzo développe des formes épurées, avant qu’ils ne s’épanouissent dans la vaste architecture du finale où revient le thème de l’andante.
Le magnifique Notturno, qui fut le mouvement lent originel du Trio en si bémol nous élève vers la méditation et la sérénité, alors que le superbe Sonatensatz D. 28, que Schubert composa à l’âge de 15 ans, encore pétri de l’esprit de Haydn, exhale une atmosphère radieuse.
Ce disque hautement recommandable trouvera sa place parmi une abondante discographie. »
« Après avoir enregistré l’intégrale des Trios de Beethoven), le Trio Elégiaque, poursuit sa conquête des sommets classiques et romantiques avec cette intégrale Schubert, qui témoigne au plus haut point de l’art de faire de la musique de chambre aujourd’hui. Avec leur souci de transparence du texte et une grande souplesse dans la virtuosité tant qu’expressive et rythmique, les trois musiciens français ont trouvé un son d’une profondeur envoûtante, révélant au plus près la vie intérieure propre au monde hallucinatoire de Schubert.
Beethoven meurt à Vienne en 1827. Franz Schubert, son fervent admirateur, porte son cercueil lors des funérailles. Il semblerait que Beethoven ait pu réellement entendre quelques Lieder de Schubert et en fut émerveillé ; Schubert comprit rapidement qu’il devait saisir l’occasion de prendre la place laissée vacante par son aîné, universellement admiré et estimé. Il n’avait selon lui encore produit aucune œuvre de grande envergure réellement satisfaisante – bien que la Symphonie en ut majeur fût composée en 1826 – et décida donc que le genre du lied ne constituerait plus le cœur de son catalogue ; il devait maintenant se consacrer uniquement à la composition d’œuvres de grande dimension. Il le fit donc. En 1827, des éditeurs commencèrent, un peu partout en Europe, à s’intéresser aux œuvres de Schubert. L’un d’entre eux – un certain Probst, originaire de Leipzig – souhaitait publier certaines des toute récentes et importantes œuvres du jeune compositeur. Bien qu’il assurât dans un premier temps le compositeur de sa générosité pour l’exploitation de ces nouvelles œuvres, il offrit en définitive à Schubert une somme misérable (21 florins et 60 kreutzers) pour le Trio en mi bémol majeur, qu’il publia seulement quelques mois avant la mort de Schubert…
Les deux Trios pour piano, violon et violoncelle D. 928 et 929 de Schubert ainsi que le Notturno D. 897 ne manquent pas de références, mais le Trio Elégiaque constitué du violoniste Philippe Aïche, de la violoncelliste Virginie Constant et du pianiste François Dumont, prend place parmi les meilleurs interprètes de ces œuvres vibrantes écrites dans l’urgence d’une vie en sursis. Les musiciens, avec justesse d’expression et style, privilégient la douleur contenue avec un naturel qui sonde les profondeurs de l’âme sans jamais surligner le trait. Une interprétation qui parvient à traduire la quintessence de l’art schubertien. »
Michel Le Naour – Cadences no 313 Avril 2018
http://www.cadences.fr/articles/numeros-precedents
http://fr.1001mags.com/parution/cadences/numero-313-avril-2018/page-28-29-texte-integral